A propos de : THE STATE HOSPITAL

The State Hospital
Edward Kienholz
1966

Une surface blanche, comme une page, en planches. Des linteaux de bois dessinent un quadrillage discret encadrant une porte centrale qui porte le n°8. Un cartouche situé dans l'angle en haut à gauche indique "Ward 19". L'histoire se passe dans la cellule d'un hôpital psychiatrique public aux États Unis, vers 1948.

La porte centrale dispose également d'une ouverture rayée de barreaux. Le récit se lit par un travelling avant, nous entrons dans l'histoire grâce à cette mise en abîme. On y voit au moins un homme, couché en bas d'un lit superposé, qui énonce la présence d'un autre homme identique à lui par un phylactère sculpté dans un tube de néon rose. Est-ce important de savoir à coup sûr si l'homme est seul ou s'ils sont deux ? Probablement pas. La barre verticale et centrale du lit superposé divise également cette scène en deux cases horizontales. L'œuvre se lit une première fois dans son ensemble, puis se décrypte dans ses parties morcelées.

L'origine de The State Hospital est autobiographique. Edward Kienholz a travaillé dans un hôpital psychiatrique dans sa jeunesse et, vingt ans plus tard, il crée cette œuvre pour dénoncer les mauvais traitements dont les malades étaient victimes. L'homme couché, décharné et nu, attaché par des sangles à la partie basse du lit, ressemble à une ombre schizoïde. Il semble dire qu'il existe un autre "lui-même" couché au-dessus de lui. La cruauté exercée contre lui/eux a détruit toute possibilité d'identité et d'indentification. Un aquarium vide occupe la place du crâne alors que des les poissons noirs, vivants, nagent dans la bassine à uriner posée au sol. C'est un cauchemar. L'un est l'autre, l'autre et l'un, je n'est plus rien et tu n'as plus personne.

The State Hospital fait partie de la série des tableaux-concepts d'Edward Kienholz. Les tableaux concepts sont des récits bruts qui ne sont pas forcément destinés à être réalisés ultérieurement. Les acheteurs acquièrent un synopsis et un titre typographié et encadré, pour un premier montant d'achat. Ils peuvent ensuite décider de faire réaliser le tableau-concept sous forme sculpturale en payant une seconde somme d'argent convenue à l'avance. Il existe donc deux versions de The State Hospital : la version écrite et la version sculptée. Les œuvres d'Edward Kienholz, ainsi que celles qu'il réalisa avec sa femme Nancy Reddin Kienholz, sont des récits d'objets qui décrivent la violence quotidienne aux États Unis durant la seconde moitié du XXe siècle. Des bandes sculptées férocement lucides.

Texte et image : Johanna Schipper

A propos de :
AUTO-SCULPTURE & AUTO-PEINTURE

Auto-sculpture & Auto-peinture
Le Gentil Garçon
2001-2004

«La sculpture est formée de mon poids en pâte à modeler, un tas dans lequel sont figées deux répliques de mes yeux. La peinture est un monochrome sur toile qui a pour dimension ma surface corporelle (calculée selon la formule de Gehan), elle est percée de deux trous ronds.»

J’ouvre enfin les yeux. Je me sens tout drôle. Pas vraiment que je me sente mal, mais je sens étrangement... semblable à moi-même. -Semblable- Pas tout à fait identique, un peu à côté de la plaque, mais relativement conforme à ce que je pense être. J’ai la bouche tellement pâteuse que je me sens incapable de l’ouvrir. Je me sens libre aujourd’hui. Et je ne me suis jamais senti aussi nu. Je dois être si nu !

Devant moi un monochrome.

Un monochrome rosâtre troué, comme un immense masque. Il est curieux.

Ah j’en ai bouffé des monochromes dans ma vie, mais celui-là ! Hypnotisant comme un miroir. C’est viscéral, je l’ai dans la peau. J’ai du mal à détacher mon regard de cette grande surface qui m’est si familière. Peut-être que c’est ce qui me manque dans la vie, un monochrome. À vrai dire, c’est ces deux trous qui me fascinent. Je n’arrive plus à détacher mes yeux de ces deux points.

Je veux les voir de plus près. Ce qu’il se cache derrière. Je veux voir à travers, quel qu’en soit le prix. Quand bien même je devrais passer ma vie à regarder à travers ce masque immense, je le ferais.

Je cacherais ma nudité derrière ce masque. Je serais inatteignable, presque en sécurité. Sûrement trop en sécurité, un berceau, une cage, une prison sur mesure. Et quand cette geôle sera trop étriquée, je me livrerais à vous. Tout entier. Il ne faudra rien garder pour moi, tout dire. Jusque dans les moindres détails, je me liquéfierais de vérité, je serais plus nu que jamais. Je me détruirais dans ma confidence. De sorte que tout se reconstruise de lui-même.

Une auto-destruction à laisser le futur derrière soi, pour une auto-reconstruction de ma personne. Un auto-modelage de mes membres, une auto-sculpture de ma carrure, une auto-perforation des mes orifices, une auto-peinture des pigments de ma peau. Je serais alors devenu mon portrait autonome. Un auto-personnage de moi-même. L’auto-portrait d’un autre.

Texte et image : Henri Lemahieu